Si maintenant les grands s’y mettent

Je reproduis un passage de l’intervention de Jean-Dominique Senard, président de Michelin, aux Assises des EDC en mars à Nantes :

« …la volonté farouche que nous avons aujourd’hui de transformer la vie de nos équipes dans le sens d’une plus grande responsabilisation et d’une prise en main de leur avenir immédiat. Cette délégation d’autorité, qui peut se faire jusqu’à l’îlot de production c’est-à-dire six ou sept personnes, est quelque chose qui se prépare très longtemps à l’avance, c’est pas quelque chose qu’on peut faire facilement, mais c’est en train de transformer, je peux vous le dire sincèrement, la vie de l’entreprise. Nous avons aujourd’hui un certain nombre d’usines dans le monde qui sont en train de vivre une parfaite transformation non seulement de leurs relations sociales mais aussi de leurs relations de travail. Et quand vous visitez ces usines, vous rendez compte, et c’est scotchant, que les équipes travaillent en autonomie et sont capables toute la journée de gérer leurs activités, de vérifier l’état de la situation, de faire monter les problèmes un cran au dessus quand ils ne sont pas capables de les résoudre eux-mêmes, et de se désigner entre eux soit responsable de la qualité, soit de la production, soit de la sécurité. Chacun a un rôle qui s’autodétermine, c’est tout à fait extraordinaire. Cela va jusqu’à ce que les îlots déterminent eux-mêmes leurs formations.

Quand vous arrivez là et que ça se passe sereinement, vous transformez l’usine. On parlait tout à l’heure d’épanouissement des personnes, ce que nous appelons nous « l’organisation responsabilisante ». Ce n’est pas de la démagogie, c’est du réel, c’est très très puissant et ça transforme complètement la vie des équipes, des hommes et des femmes de Michelin, qui se sentent reconnus, responsables, et cela transforme complètement leur vie professionnelle.

Je peux vous assurer que si c’était une chose que je pouvais laisser dans quelques années lorsque je ne serai plus président de Michelin, cette transformation radicale qui est en cours en ce moment dans le groupe, ce sera une de mes plus grande fierté. »

Et un passage de l’interview de Yves Clot au sujet de son intervention dans les usines Renault :

« Comme nous savions que les opérateurs avaient souvent trouvé d’eux-mêmes des modes opératoires plus efficaces, plus rapides, plus performants et meilleurs pour leur santé que ceux indiqués sur les fiches de poste, notre rôle « clinique » était de chercher les différences entre leurs manières de travailler et de les faire discuter sur ces points en les filmant. Ils en sont ainsi venus, après avoir eux-mêmes confronté leurs points de vue, à élaborer des diagnostics et à trouver des alternatives, bref, à mettre en œuvre leur créativité. Un montage de ces vidéos a ensuite été projeté devant la direction et les syndicats, leur donnant l’opportunité de discuter de ce travail directement et très concrètement.

La Direction a d’abord été très impressionnée par l’intelligence des opérateurs, qui accomplissent bien au-delà des performances prescrites. Leur analyse a fini par peser dans le discours de la direction : mis devant l’approche très concrète et pragmatique des opérateurs, il lui était difficile d’échapper au réel, d’autant plus que les syndicats étaient également là pour exercer leurs responsabilités. Non seulement ils ont vu où se situait le problème, mais en plus ils ont dû s’engager dans le dialogue. Un échange sur le travail réel a donc bien eu lieu. »

A noter dans cet esprit, l’initiative du CFA-AFIA (centre de formation d’apprentis-formations informatiques par apprentissage), lancée en collaboration avec l’ANAF (association nationale des apprentis de France), et qui a été financée par la Région Ile-de-France ; « Filme ton job ». Avec moins de six mois d’existence, la plateforme accueille déjà près de 300 vidéos de jeunes qui se sont filmés en situation d’apprentissage.

Cette démarche s’inscrit dans la démarche de découvrir et reconnecter avec une part de sens dans nos métiers, c’est à dire retrouver le sentiment d’avoir une mission importante au sein d’une entité, d’être engagé et investi dans une contribution. Cela permet parfois de nous redonner plaisir et motivation à la tâche.

Elle répond à cette « culture y » (plus intelligible que celle de « génération Y ») de l’harmonie relationnelle : S’Accepter, Accepter l’autre, Partager, Être et Faire avec soi et les autres dans le Plaisir. C’est la recherche de modes de relations nouvelles :

  • déhiérarchisées;
  • plus authentiques;
  • basées sur la confiance, le respect des engagements et le parler vrai.

Saluons donc ces initiatives des grandes entreprises et je manque de place pour les citer toutes – Kiabi, Leroy Merlin, Auchan, la SNCF… – qui, chacune à leur manière et à des degrés variables, investissent le champ de la responsabilisation des équipes. Initiatives qui nécessitent un lâcher-prise par l’équipe dirigeante, qui doit en effet accepter de passer d’un rôle de donneur d’ordre à un rôle de pourvoyeur de ressources en mettant son ego en veilleuse pour laisser finalement le pouvoir aux équipes.

Alors si les grands s’y mettent….ça va aller beaucoup plus vite.